Les pensions alimentaires après divorce en droit belge
Introduction
La pension alimentaire après divorce constitue un mécanisme essentiel de solidarité post-conjugale. Elle vise à protéger l’époux économiquement le plus faible lorsque la rupture du mariage entraîne un déséquilibre matériel. Depuis la réforme du 27 avril 2007, la faute n’est plus une condition d’octroi. Le juge apprécie la demande selon des critères objectifs, en fonction des ressources, des besoins et des circonstances de la séparation. L’article 301 du Code civil forme la base légale de ce régime.
Cadre légal et typologie des divorces
La pension entre ex-époux se distingue de la contribution alimentaire pour enfants (article 203 du Code civil). Deux voies de divorce subsistent, chacune ayant des effets particuliers sur la pension.
- Le divorce par consentement mutuel. Les époux fixent librement le principe, le montant, la durée et les modalités de la pension. Les conventions conclues après le 1er septembre 2007 peuvent être révisées par le juge en cas de circonstances nouvelles, sauf clause contraire.
- Le divorce pour désunion irrémédiable. Dans ce cas, la pension peut être accordée par le tribunal, à la demande de l’un des époux, selon les critères légaux fixés à l’article 301. Le juge dispose d’une large marge d’appréciation pour adapter sa décision à la situation concrète.
Conditions d’octroi
L’article 301, §2 du Code civil autorise le tribunal à accorder une pension « à l’époux dans le besoin ». Il ne s’agit pas d’un état de pauvreté absolue, mais d’une appréciation comparative des situations économiques respectives.
Le demandeur doit démontrer qu’il ne peut subvenir seul à ses besoins essentiels, compte tenu de son âge, de son état de santé, de ses qualifications et de ses perspectives professionnelles.
Certaines circonstances peuvent toutefois exclure ou réduire le droit à pension :
- la faute grave ayant rendu la vie commune impossible, telle que des violences, un comportement humiliant ou un adultère directement à l’origine de la rupture ;
- les violences conjugales commises par le demandeur, que le juge peut sanctionner en refusant la solidarité post-matrimoniale ;
- la contribution volontaire à son propre état de besoin, notamment en cas de refus d’emploi ou d’inactivité injustifiée.
Calcul du montant
Le montant de la pension doit couvrir au minimum l’état de besoin du bénéficiaire, sans viser systématiquement le maintien du niveau de vie antérieur, sauf circonstances particulières.
Le juge prend en compte :
- les revenus et charges des deux époux ;
- la durée du mariage ;
- l’âge et l’état de santé du demandeur ;
- la répartition des rôles familiaux et la charge des enfants.
Le plafond légal est fixé au tiers des revenus nets du débiteur. Le tribunal peut aussi prévoir une pension dégressive, destinée à encourager une réinsertion progressive du bénéficiaire sur le marché du travail.
En pratique, les juridictions utilisent deux méthodes :
- la méthode comparative, qui vise à rapprocher les niveaux de vie après déduction des charges ;
- la méthode budgétaire, fondée sur les besoins concrets du créancier et les capacités réelles du débiteur.
Modalités, durée et extinction
La pension est généralement versée en argent, sous forme de rente mensuelle. Elle peut exceptionnellement prendre la forme d’un capital ou de la prise en charge directe de certaines dépenses.
La durée de la pension tend à être proportionnée à celle du mariage, sauf circonstances particulières (âge avancé, handicap, mariage très court). Elle prend fin en cas de décès de l’un des conjoints, de remariage ou de cohabitation du bénéficiaire, ou lorsqu’un changement de circonstances justifie sa suppression. La jurisprudence considère qu’une vie maritale avec un tiers suffit à mettre fin à la pension, sans qu’il faille prouver une amélioration financière.
Indexation
L’indexation a pour but de préserver le pouvoir d’achat de la pension. Elle est en principe annuelle, calculée à partir de l’indice des prix à la consommation. Le créancier peut réclamer les arriérés d’indexation dans la limite de cinq ans.
Révision et suppression
Une pension fixée par jugement peut être révisée si des circonstances nouvelles, indépendantes de la volonté des parties, la rendent inadaptée.
Les pensions convenues dans le cadre d’un divorce par consentement mutuel peuvent également être révisées pour les conventions postérieures à 2007, sauf exclusion expresse.
La révision peut produire effet rétroactif dans une mesure raisonnable, sous réserve du délai de prescription quinquennale. Le juge peut aussi sanctionner un abus de droit lorsque la demande de maintien de la pension devient manifestement disproportionnée.
Recouvrement et garanties
Le Service des créances alimentaires (SECAL) facilite le recouvrement des pensions impayées et, sous conditions, peut avancer les sommes dues. Il dispose de moyens efficaces, tels que la saisie sur salaire.
Le non-paiement volontaire peut être poursuivi pénalement comme abandon de famille (article 391bis du Code pénal).
Fiscalité et arrêt de la Cour de cassation du 23 février 2023
Sur le plan fiscal, le débiteur peut déduire 80 % des sommes versées, tandis que le bénéficiaire doit les déclarer comme revenus imposables. Les parties peuvent convenir d’une pension nette d’impôts, le débiteur supportant alors la charge fiscale correspondante.
La question du brutage du montant net a donné lieu à un important arrêt de la Cour de cassation du 23 février 2023 (C.21.0522.F).
La Cour a jugé que le taux de 80 % s’applique au montant brut de la rente alimentaire, et non au montant net. En d’autres termes, la part imposable doit être calculée sur la base du brut, conformément à l’article 99 du Code des impôts sur les revenus.
Cette précision met fin à une erreur de pratique constatée dans un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles, qui avait appliqué le taux d’imposition sur le net. Le commentaire de Nathalie Dandoy, publié dans la Revue trimestrielle de droit familial, rappelle la formule correcte de brutage :
- Montant brut = Montant net ÷ [1 − (80 % × taux moyen d’imposition)].
Cette méthode garantit au bénéficiaire le montant net convenu, tout en respectant le principe fiscal de la déductibilité partielle pour le débiteur. La Cour souligne toutefois que cette solution reste théorique, car le taux moyen d’imposition varie selon la situation du bénéficiaire. Il est donc recommandé d’insérer dans les conventions une clause d’ajustement annuel, permettant de réévaluer le montant brut sur la base du taux d’imposition réel communiqué chaque année.
Conclusion
Le régime belge des pensions alimentaires après divorce repose sur un équilibre entre solidarité et responsabilité. La réforme de 2007 a modernisé la matière en substituant une approche économique et équitable à la logique fautive du passé.
La jurisprudence, notamment celle de la Cour de cassation, continue de préciser les contours de ce dispositif en veillant à la cohérence entre droit civil et fiscal. L’arrêt du 23 février 2023 illustre cette évolution vers une plus grande sécurité juridique.
En pratique, la fixation d’une pension équitable suppose une analyse rigoureuse des ressources, des charges et des perspectives de chaque époux. La rédaction de conventions claires, prévoyant l’indexation, la révision et la prise en compte des incidences fiscales, demeure la meilleure garantie d’une solidarité post-conjugale équilibrée et durable.
