L’introduction prochaine de l’infraction d’homicide routier dans le Code pénal belge marque une évolution importante, tant sur le plan symbolique que répressif. Cette réforme, validée par le gouvernement Arizona en juillet 2025, consacre la volonté du législateur de distinguer clairement les comportements routiers gravement dangereux des homicides involontaires de droit commun. Elle répond à une demande de longue date des associations de victimes et des familles endeuillées, soucieuses de voir reconnue la responsabilité active de certains conducteurs dans les drames de la route.
Contexte juridique et raisons de la réforme
Jusqu’à présent, le décès d’une personne à la suite d’un accident de la route était qualifié d’homicide involontaire au sens de l’article 419 du Code pénal de 1867. Cette disposition prévoit une peine d’emprisonnement de trois mois à cinq ans lorsque le décès résulte d’un accident de circulation. Le nouveau Code pénal, adopté le 29 février 2024 et dont l’entrée en vigueur est prévue pour le 8 avril 2026, avait modernisé la terminologie en évoquant « l’accident de la circulation mortel » (article 107), puni d’une peine de niveau 3, soit de trois à cinq ans d’emprisonnement.
Toutefois, cette terminologie restait jugée insatisfaisante. Le mot « accident » renvoie à l’idée d’un événement fortuit ou imprévisible, ce qui heurte de nombreuses familles de victimes lorsque le drame résulte d’un comportement délibérément dangereux : conduite en état d’ivresse, usage de stupéfiants, excès de vitesse ou distraction au volant. Pour les associations, ces comportements ne relèvent plus du hasard mais d’une faute consciente et évitable. Comme l’a déclaré Rinaldo Pontello, père d’une jeune victime décédée à Ixelles en 2023 : « Ce n’était pas un accident, mais une mise à mort ».
Les chiffres confirment l’ampleur du phénomène. En 2022, la Belgique a recensé plus de 37 000 accidents de la route, ayant causé 46 074 victimes dont 540 décès dans les trente jours suivant les faits. Selon l’Institut Vias, la vitesse excessive provoque environ 150 morts par an, tandis que près de 2 % des conducteurs belges roulent encore sous l’influence de l’alcool, un taux parmi les plus élevés d’Europe. Face à cette réalité, l’évolution du droit pénal apparaissait indispensable.
La proposition de loi et ses principales modifications
La proposition de loi n° 617/001, déposée le 20 décembre 2024 par la députée Vanessa Matz (Les Engagés), introduit trois changements majeurs : la requalification terminologique (a), l’aggravation du niveau de peine (b) et le maintien de l’individualisation judiciaire (c).
- a) Une requalification symbolique
Le texte propose de remplacer la dénomination « accident de la circulation mortel » par « homicide routier », et d’employer le terme « collision routière » plutôt que « accident de circulation ». Ce changement vise à supprimer la connotation de fatalité attachée au mot « accident » et à reconnaître la dimension volontaire du risque pris par certains conducteurs. Il s’agit avant tout d’une réforme symbolique, mais cette symbolique a un poids considérable dans la perception de la justice par les victimes.
- b) Une aggravation des peines
Sur le plan répressif, la réforme élève la peine encourue du niveau 3 au niveau 4. L’homicide routier serait donc puni de cinq à dix ans d’emprisonnement ou d’un traitement sous privation de liberté de plus de quatre à six ans. Ce relèvement place l’infraction au même niveau que certaines formes de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner.
Ce durcissement traduit la volonté du législateur de sanctionner plus sévèrement les comportements gravement fautifs. Comme le rappelle l’exposé des motifs, si le conducteur n’a pas voulu la mort d’autrui, il a en revanche sciemment choisi de prendre le volant après avoir consommé de l’alcool, de la drogue, ou en adoptant une conduite excessivement dangereuse.
- c) Une appréciation individualisée par le juge
La réforme maintient la possibilité pour le juge d’adapter la peine à la gravité concrète des faits grâce au mécanisme des circonstances atténuantes. Le magistrat pourra ainsi abaisser la sanction aux niveaux 3 ou 2, ou recourir à des peines alternatives comme la probation, la formation à la sécurité routière, le suivi thérapeutique ou la suspension du permis de conduire. L’objectif est de préserver l’équilibre entre fermeté et proportionnalité.
Comparaison européenne et évolution internationale
L’introduction de l’homicide routier s’inscrit dans un mouvement plus large observé en Europe. En France, une loi du 9 juillet 2025 a créé le délit d’homicide routier, puni de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, avec des peines portées à dix ans et 150 000 euros en cas de circonstances aggravantes multiples. Aux Pays-Bas, l’homicide commis par un automobiliste en état d’ivresse ou de grande vitesse peut être sanctionné jusqu’à neuf ans de prison. En Angleterre et au Pays de Galles, la peine peut atteindre dix ans, voire la réclusion à perpétuité dans les cas les plus graves.
L’Allemagne, l’Espagne et l’Italie conservent pour l’heure une peine maximale de cinq ans, mais l’Italie prévoit jusqu’à dix ans en cas de pluralité de victimes. Dans ce contexte, la réforme belge s’aligne sur une tendance européenne de durcissement et de reconnaissance symbolique, affirmant que la violence routière n’est pas une fatalité mais une faute grave.
Validation constitutionnelle et fondements juridiques
La légitimité de ce renforcement pénal repose sur une jurisprudence constitutionnelle solide. Par son arrêt n° 123/2021 du 30 septembre 2021, la Cour constitutionnelle a validé l’augmentation des peines pour homicide involontaire commis dans le cadre de la circulation routière. Elle a estimé que cette mesure était conforme aux objectifs de sécurité routière et de responsabilisation des conducteurs. La Cour a souligné que ce n’est pas l’absence d’intention de tuer qui compte, mais la possibilité d’éviter la mort par une conduite prudente et raisonnable.
Cette approche met en lumière la logique préventive de la réforme : dissuader les comportements dangereux et renforcer la conscience des risques liés à la conduite.
Peines complémentaires et responsabilité civile
Outre la peine principale d’emprisonnement, plusieurs sanctions accessoires peuvent accompagner la condamnation. La déchéance du droit de conduire reste la plus courante. Elle peut être temporaire ou définitive selon la gravité des faits et la récidive éventuelle. Le juge peut également imposer un stage de sensibilisation, une thérapie en cas d’addiction, ou l’installation d’un éthylotest antidémarrage.
Sur le plan civil, les victimes ou leurs ayants droit disposent d’un droit à réparation intégrale. L’assurance responsabilité civile automobile, rendue obligatoire par la loi du 21 novembre 1989, garantit l’indemnisation de toutes les victimes non conductrices, même en cas de faute partielle de leur part. Les préjudices indemnisables incluent les pertes financières, les frais médicaux, le préjudice moral ou encore le dommage esthétique. La constitution de partie civile devant le juge pénal permet d’obtenir simultanément la condamnation de l’auteur et l’indemnisation du préjudice.
Le système des niveaux de peine dans le nouveau Code pénal
Pour comprendre la portée de la réforme, il faut rappeler le fonctionnement du nouveau système de peines introduit par le Code pénal de 2024. Celui-ci comprend huit niveaux, allant de la simple déclaration de culpabilité (niveau 1) à la réclusion à perpétuité (niveau 8). Le niveau 4 correspond à un emprisonnement de cinq à dix ans, tandis que le niveau 3 prévoit une peine de trois à cinq ans.
Cette gradation vise à harmoniser les sanctions et à offrir une plus grande lisibilité au public. Elle permet aussi de comparer la sévérité relative des infractions. En classant l’homicide routier au niveau 4, le législateur le place au même rang que des infractions telles que les violences graves ayant entraîné la mort. Ce choix illustre la volonté d’assimiler la gravité de la conduite criminelle sur la route à celle d’autres formes de violence.
Enjeux et débats
Si la réforme recueille un large soutien, elle suscite également certaines réserves. Certains juristes estiment que la modification est avant tout symbolique et qu’elle ne change pas la nature juridique de l’infraction, qui demeure une forme d’homicide par imprudence. D’autres s’interrogent sur la réelle efficacité dissuasive de l’alourdissement des peines, rappelant que la prévention et le contrôle routier restent les leviers les plus efficaces pour réduire la mortalité.
Sur le plan politique, la mesure traduit un changement de cap. Une première tentative de réforme avait été rejetée sous la législature précédente, avant d’être relancée par la majorité Arizona. Pour ses promoteurs, il s’agit d’une question de justice morale et de reconnaissance. Pour ses critiques, le risque existe de voir la frontière entre l’imprudence et la préméditation s’estomper, au détriment du principe de proportionnalité.
Conclusion
L’introduction de l’homicide routier dans le Code pénal belge constitue une avancée symbolique forte et une réforme pénale cohérente. En abandonnant le terme « accident » et en renforçant les peines, le législateur reconnaît la gravité des comportements routiers délibérément dangereux. Cette évolution s’inscrit dans une démarche européenne et s’appuie sur une jurisprudence constitutionnelle solide.
Reste à voir comment les parquets et les tribunaux appliqueront ces nouvelles dispositions. La réussite de la réforme dépendra autant de la rigueur de la répression que de la politique de prévention et d’éducation routière. La loi ne suffira pas, à elle seule, à éradiquer la violence sur les routes, mais elle envoie un signal clair : lorsque la mort résulte d’un comportement volontairement dangereux, ce n’est plus un accident, c’est un homicide.
