Le délit de fuite constitue une infraction pénale distincte du manquement prévu à l’article 52.2 du Code de la route, ce dernier étant qualifié d’infraction de moindre gravité. En pratique, les avocats tendent à démontrer que le comportement reproché relève d’un manquement à cet article, et non d’un délit de fuite, dans le but de voir appliquer une peine plus clémente. Toutefois, cette requalification s’avère de plus en plus complexe à obtenir devant les juridictions.

Les tribunaux adoptent une position stricte face à la recrudescence des délits de fuite, perçus comme des comportements particulièrement graves et contraires aux principes de civisme. Cette rigueur se traduit par une interprétation élargie des éléments constitutifs du délit de fuite, notamment en ce qui concerne l’intention de se soustraire aux constatations utiles. Cette évolution judiciaire rend plus difficile la reconnaissance d’un simple manquement.

L’infraction de délit de fuite :

L’article 33 du Code de la route dispose qu’:

« Est puni d’un emprisonnement de quinze jours à six mois et d’une amende de 200 euros à 2.000 euros, ou d’une de ces peines seulement :

1° tout conducteur de véhicule ou d’animal qui, sachant que ce véhicule ou cet animal vient de causer ou occasionner un accident de la circulation dans un lieu public ;

2° quiconque sachant que lui-même vient de causer ou occasionner un accident de la circulation dans un lieu public, prend la fuite pour échapper aux constatations utiles, même si l’accident n’est pas imputable à sa faute. »

 

De cet article, plusieurs éléments essentiels méritent d’être retenus :

Tout conducteur : Le terme « conducteur » désigne toute personne qui assure la direction d’un véhicule, au sens large. Cela inclut non seulement celui qui conduit un véhicule motorisé, mais également une personne poussant un véhicule ou, dans certaines circonstances, un passager prenant temporairement le contrôle du véhicule.[1]

Accident de la circulation : La notion d’accident de la circulation, telle que définie par la Cour de cassation, se réfère à un événement soudain et anormal qui entraîne des dégâts, quelle que soit leur gravité, à un tiers.[2] Ainsi, un comportement ne saurait être qualifié de délit de fuite si les dommages causés sont exclusivement limités au véhicule du conducteur concerné, sans impact sur des tiers ou leurs biens.

Par ailleurs, il convient de rectifier une idée répandue mais erronée : la notion de « circulation » ne se limite pas aux véhicules en mouvement sur une voie publique. Un accident de la circulation peut également concerner un véhicule à l’arrêt ou stationné, dès lors que les circonstances relèvent de l’usage ou de la présence d’un véhicule sur la voie publique. Cette interprétation élargie est essentielle pour une application cohérente des règles de droit.

Dans un lieu public :  Le lieu public ne doit pas être interprété de manière restrictive, c’est-à-dire limité à la seule voie de circulation. En réalité, le lieu public inclut : « la
voie publique, les terrains ouverts au public et les terrains non publics mais
ouverts à un certain nombre de personnes »[3]

Connaissance de l’accident : La loi exige que le conducteur ait connaissance de l’accident pour que l’infraction puisse être constituée. Si cette question est rarement débattue devant les tribunaux lorsqu’il s’agit de voitures particulières, elle prend une importance accrue dans le cas de véhicules spécifiques, tels que les camions. En effet, un camion peut causer des dommages, notamment dans un angle mort, sans que le conducteur en ait conscience, surtout si ces dommages sont minimes. Dans ces situations, la question de la connaissance effective de l’accident par le conducteur devient centrale, et les tribunaux examinent les faits pour déterminer si cette absence de perception est crédible ou si elle constitue une tentative de se soustraire aux obligations légales.

Prendre la fuite : La notion de « prendre la fuite » ne se limite pas au simple départ physique du lieu de l’accident. Elle inclut également tout comportement ou action visant à entraver les autorités ou les parties concernées dans leur capacité à effectuer les constatations nécessaires, qu’il s’agisse de déterminer les responsabilités, de vérifier l’état du conducteur ou d’évaluer les dommages.

La jurisprudence actuelle adopte une interprétation de plus en plus stricte de cette notion, allant parfois jusqu’à sanctionner des comportements qui, bien qu’irresponsables, ne relèvent pas clairement de la fuite au sens strict. Cette évolution suscite des critiques, notamment en ce qu’elle semble s’éloigner des principes fondamentaux du droit pénal, comme la stricte interprétation des textes répressifs et la nécessité d’un élément intentionnel (dol) pour qualifier l’infraction.[4]

Échapper aux constatations utiles : Eviter ou empêcher la réalisation des vérifications indispensables après un accident. Ces vérifications portent notamment sur les circonstances de l’accident, l’état du conducteur (par exemple, pour déceler une éventuelle consommation d’alcool ou de drogues) et les dégâts matériels ou corporels causés. Même si le conducteur revient ultérieurement sur les lieux ou se signale aux autorités après coup, le fait d’avoir initialement empêché ces constatations essentielles peut suffire à caractériser le délit de fuite, car il entrave l’établissement rapide et fiable des faits.[5]

 

Article 52.2 du Code de la route : une alternative au délit de fuite et ses ambiguïtés :

Cet article, bien que parfois confondu avec l’infraction de délit de fuite, s’en distingue fondamentalement. En pratique, les avocats cherchent souvent à démontrer qu’un comportement reproché relève d’un manquement à cet article plutôt que d’un délit de fuite, dans le but d’obtenir une requalification de l’infraction.

L’article 52.2 du Code de la route dispose que :

« Toute personne impliquée dans un accident ayant provoqué des dommages exclusivement matériels doit :

1° si elle est âgée de plus de quinze ans, présenter sa carte d’identité
ou le titre qui en tient lieu aux autres personnes impliquées dans
l’accident, qui le lui demandent ;

2° rester sur place afin de faire en commun les constatations nécessaires, ou, à défaut d’accord entre les parties, de permettre à un agent qualifié de procéder à ces constatations. Si aucun agent qualifié n’a pu être touché dans un délai raisonnable, il est loisible aux personnes impliquées de faire la déclaration de l’accident dès que possible, soit au bureau de police ou de gendarmerie le plus proche, soit à celui de leur domicile ou de leur résidence.

Toutefois, si une partie qui a subi un dommage n’est pas présente, les
personnes impliquées dans l’accident doivent, autant que possible, fournir sur place, l’indication de leurs nom et adresse, et en tout cas, produire ces renseignements au plus tôt, directement ou par l’intermédiaire de la police ou de la gendarmerie. »

L’article 52.2 du Code de la route impose au conducteur impliqué dans un accident causant uniquement des dégâts matériels de rester sur place pour permettre les constatations nécessaires. Cela peut se faire en remplissant un constat amiable avec l’autre partie concernée ou, en cas de désaccord, en attendant l’intervention d’un agent qualifié. Si un agent ne peut arriver dans un délai raisonnable, le conducteur doit déclarer l’accident dès que possible au poste de police le plus proche ou à celui de son domicile. En cas d’absence de l’autre partie, comme pour un véhicule en stationnement, le conducteur doit laisser ses coordonnées sur place, par exemple sur un mot fixé au pare-brise, ou signaler les faits à la police rapidement.

Cependant, des ambiguïtés existent dans le texte, notamment sur les démarches à suivre pour des dégâts causés à des objets inanimés, comme un poteau ou un arbre, ou sur la définition d’un délai « raisonnable » pour faire la déclaration, bien que l’on semble constater une doctrine majoritaire prévoyant que cette déclaration doit être faite en tout état de cause dans les 24h. La question se pose également de savoir comment agir lorsque l’accident se produit la nuit, dans un endroit isolé ou perçu comme dangereux. Dans ces situations, le conducteur peut préférer rentrer chez lui et informer la police ou son assureur le lendemain, ce qui peut pourtant être interprété comme une tentative de fuite.

 

Manquement à l’article 52.2 et délit de fuite : distinction et enjeux :

La différence entre un manquement à l’article 52.2 du Code de la route belge et le délit de fuite réside principalement dans la gravité de l’infraction et l’intention du conducteur. Le manquement à l’article 52.2 est une infraction qui survient lorsque le conducteur ne respecte pas les obligations prévues après un accident causant uniquement des dégâts matériels. Ces obligations incluent rester sur place, remplir un constat amiable ou, en l’absence de possibilité, signaler l’accident rapidement à la police. Ce manquement est constaté lorsque le conducteur ne suit pas ces règles, mais sans qu’il y ait une volonté de se soustraire à des responsabilités ou à des constatations utiles.

En revanche, le délit de fuite est une infraction pénale beaucoup plus grave. Il se caractérise par une volonté délibérée du conducteur de quitter les lieux d’un accident pour échapper aux constatations nécessaires, telles que l’évaluation des circonstances, l’identification des responsabilités ou l’état du conducteur. Ce comportement suppose un dol spécial, c’est-à-dire une intention consciente et malveillante de se soustraire à ces vérifications. Contrairement au manquement à l’article 52.2, le délit de fuite s’accompagne de sanctions bien plus sévères, pouvant inclure des amendes pénales élevées, une déchéance du droit de conduire ou même des peines de prison dans les cas graves, comme les accidents ayant causé des blessures ou des décès.

Ainsi, la distinction principale repose sur l’intention du conducteur et les circonstances de son comportement. Si un conducteur ne respecte pas les formalités post-accident sans intention malveillante, par exemple en laissant un mot incomplet sur un véhicule en stationnement avant de signaler l’accident à son assureur, il s’agira généralement d’un manquement à l’article 52.2. En revanche, si le conducteur quitte les lieux pour éviter un contrôle d’alcoolémie ou pour fuir ses responsabilités, cela sera considéré comme un délit de fuite. Les tribunaux, en droit belge, évaluent ces éléments au cas par cas pour établir la distinction entre ces deux types d’infractions.

[1] Cass. (2e ch.), 28 octobre 2014, R.G. no P.13.1917.N.

[2] Cass., 12 mai 2020, R.G. no P.20.0067.N.

[3] Article 28 de la loi du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière.

[4] B. Dewit et C. Van Gheluwe, « Focus sur deux problématiques en matière de circulation routière » in Roulage, responsabilité et expertise, Anthemis, 10 août 2023.  

[5] Ibid